Science : Le polytechnicien Pierre Sedi réalise le prototype d’interface Cerveau-Machine mais garde quand même pied sur terre et tête à sa place

Notre rédaction a réalisé un entretien avec Pierre Sedi, ce chercheur congolais que le grand public a pu découvrir récemment par la médiatisation de son invention, Cerebro, tant par les médias locaux avant que les médias internationaux diffusent à grande échelle ses reportages repris en cascade sur des médias panafricains.

Il faut dire que pour le commun de congolais est peu habitués à être en contact avec les produits de la recherche pure de notre système universitaire malgré tout le mal qu’on croit gratifier ce dernier.

En fait, Cerebro est une sorte de gadget de haute technologie pour commander une maison intelligente, ou pour redonner de la motricité à des personnes atteintes de sévères handicaps. Il est composé de 2 parties : une partie matérielle ainsi qu’une partie logicielle. La partie matérielle est faite d’un casque neuronal (doté de 14 capteurs), d’un ordinateur qui recevra les signaux provenant du casque et d’un robot à piloter par la pensée. La partie logicielle est composée de plusieurs programmes installés dans l’ordinateur.

Pendant que l’on croyait sa carrière de scientifique résolument lancée, de par son prototype, Pierre Sedi fait montre d’un réalisme ahurissant, il avoue « travailler à autre chose car la recherche scientifique ne nourrit pas son homme dans notre pays ! »

Le jeune homme n’a donc pas voulu être dupe des mirages d’une surmédiatisation qui laisserait indifférents les pouvoirs publiques à tel point il pourrait manquer jusqu’au minimum vital pour nouer les deux bouts du mois. La preuve ? Le traitement bègue dont sont sujet les professeurs d’université. Déjà à l’Université de Kinshasa, il n’y a jamais eu d’année académique sans grève. Si les dispensateurs des savoirs eux-mêmes disent ne pas se retrouver qu’attendre alors d’un jeune homme qui veut lancer et sa vie d’homme et sa vie professionnelle ?

En outre Pierre Sedi est d’une humilité sans pareil quand il déclare : « j’aimerais préciser qu’il s’agit bien d’une recherche qui se fait déjà sous d’autres cieux, ce n’est pas mon « invention » comme le prétendent certains à la recherche du buzz. Dans les articles où je m’exprime personnellement, le mot « invention » n’est jamais cité, mais plutôt « prototype ».

 Et de poursuivre : « La recherche sur les interfaces cerveau-machine a débuté depuis bien des décennies à travers le monde. Cependant, la complexité de ces systèmes fait qu’ils sont malheureusement toujours en cours de développement dans les laboratoires de recherche à travers le monde, et pas encore disponibles en vente pour le grand public. Dans mon travail, j’ai apporté ma pierre à l’édifice, une contribution à la science pour laquelle un article a été soumis à une conférence scientifique. Concrètement, je me suis penché sur l’optimisation du temps nécessaire pour l’entraînement des sujets au contrôle des objets à partir des ondes de leur cerveau. Actuellement, plusieurs essais sont nécessaires, parfois jusqu’à plus d’une centaine, pour qu’un sujet arrive à s’entraîner correctement. Ceci est un obstacle majeur à une utilisation grand public des interfaces cerveau-machine. Dans mon travail je me suis penché sur le problème dit de la « malédiction de la dimensionnalité » des données extraites du cerveau, et je suis parvenu à des sessions d’entraînement de seulement 6 minutes, après quoi le sujet devient capable d’envoyer des commandes à l’ordinateur pour piloter le robot à partir des ondes de son cerveau. »

En terme clair, en réduisant le temps de session d’entrainement Pierre Sedi est sur lignée qui le rapproche vite vers la commercialisation des expériences. D’où l’intérêt que doivent manifester certains organismes étatiques comme le Fond pour la Promotion de l’Industrie et toute autre structure analogue.

Notre ancien étudiant en génie informatique en Polytechnique dit aussi comprendre que l’impact de ses travaux soit un prodige, miracle dans un pays où les travaux de recherche en interfaces cerveau-machine soit resté jusqu’à lors inconnu du public congolais. D’où, l’engouement du public au moment de la découverte de l’existence d’un système capable de contrôler des objets par la pensée. Ce qui explique son engagement à communiquer, à éclairer davantage le public afin de démystifier l’approche tout en espérant que d’autres emboîtent le pas et se lancent aussi dans la recherche sur les interfaces cerveau-machine.

A la question précise de ce qu’il attend et des autorités et du public scientifique congolais, il répond : « De la part des autorités, j’attends un soutien concret. En effet, l’orientation de mes travaux porte actuellement sur le projet porté par le Professeur Aimé-Lay Ekuakille, celui de la mise en place, aux Cliniques Universitaires de Kinshasa, du premier centre de neuro-physio-réhabilitation en Afrique Centrale, grâce à l’utilisation de lits robotiques. Ce projet nécessite une attention particulière et un appui financier de la part des autorités compétentes. Du public scientifique congolais, j’attends un soutien moral et la vulgarisation de mes travaux de recherche dans l’espoir de trouver du financement pour la poursuite de ces travaux, car il est difficile de se consacrer à la recherche scientifique dans ce pays vu les conditions dans lesquelles nous évoluons. »

L’opinion publique a encore en mémoire les traitements d’extrême faveur dont ont bénéficié le boxeur Martin Bakole et Jérôme Munyangi avec sa tisane anti covid dont on n’a plus de suite. Nous espérons qu’en misant sur Pierre Sedi les autorités investiront non dans un registre de super star scientifique mais dans un créneau très porteur dont les résultats ne viendront pas faire la une de nos médias mais s’inscriront dans la logique silencieuse de la recherche fondamentale, avec ses patiences longanimes, ses exaltations, ses incertitudes, ses spleens et ses échecs. Ce doit être pour cela que l’argent contribuable sacre un ministère au nom de la Recherche Scientifique.

Tsitè Mwana Mwika